Conférence de Patrick Donabédian,
Maître de conférences d’études arméniennes à l’Université d’Aix-Marseille, et chercheur au Laboratoire d’Archéologie Médiévale et Moderne en Méditerranée (LA3M. Aix-en-Provence)
Dimanche 26 mars 2017
Maison de l’Arménie à Montpellier
Panorama de l’Art médiéval arménien
Le « médiéval » de l’Arménie auquel nous nous référons ici va de la fin de l’antiquité (IVe siècle de notre ère) aux XVII-XIXe siècle.
Cette longue période connaît une certaine continuité dans les structures sociales en place et elle est principalement marquée du sceau du christianisme.
La richesse des domaines concernés par les diverses formes artistiques témoigne de l’immensité des recherches qui restent à explorer.
Il convient de ne pas oublier que dès le Ve siècle commence la contraction du territoire de la Grande Arménie et que se développe déjà la nostalgie d’un passé glorieux. Les innombrables signes et marques de la longue histoire de la présence arménienne dans de nombreuses régions, les menaces qui se font jour aux frontières mouvantes de l’Arménie, sa religion et sa langue originales sont autant d’éléments qui forgent l’identité arménienne. Et notamment la « nationalisation » de l’institution ecclésiastique et la séparation d’avec le dogme Chalcédonien que connaissent nombre d’églises d’Orient, dont l’arménienne (« L’unique nature du verbe incarné »). Cette identité est aussi paradoxalement, du moins en apparence, confortée par la dispersion (diaspora) qu’a connue, à différentes époques, une grande part de ses membres.
Les grands domaines de l’Art arménien médiéval :
– l’architecture cultuelle
– les peintures des manuscrits et les enluminures
– les sculptures sur formes mineures telles que les stèles, les khatchkars…
A noter que les peintures murales sont rares (par rejet du dogme chalcédonien, de l’hégémonie byzantine) et que l’Art profane est peu développé.
L’ARCHITECTURE CULTUELLE
L’architecture médiévale arménienne a été « découverte » au XIXe siècle. A l’origine, on pensait qu’il s’agissait d’un produit de l’art byzantin mais progressivement son originalité s’est faite jour. Et les recherches à son sujet progressent depuis le milieu du XXe siècle : les livres qui en traitent parus depuis 2000, notamment sur l’âge d’or du VIIe siècle, en témoignent même si beaucoup reste à explorer (nombre de monastères), en particulier du XIIIe et début du XIV siècle (Royaume de Cilicie).
De même que durant
– la période des foyers « diasporiques » (Crimée, Iran…),
– et la période « moderne » : XVII-XIXe siècles.
Des analyses comparatives sont également à développer (avec la Géorgie par exemple), la connaissance des techniques (parasismiques entre autres) à approfondir, et une collection des sources (études, bibliographie) à finaliser.
Sainte Hripsimé
LES ENLUMINURES
Plus de 30.000 manuscrits médiévaux arméniens ont été répertoriés dans le monde dont 11.000 sont à Erevan, et dont le tiers est enluminé, décoré (surtout les évangiles). Les autres sont à Venise (Ile de San Lazzaro), à Jérusalem, à Vienne, au Liban …
Les plus anciens datent des V-VIe siècle et les plus complets du IXe.
Leur production augmente aux XIII-XIVe siècles, pendant la période de Cilicie notamment. Avec parfois des croisements avec des ouvrages de Mongolie, de Chine…
Les études à leurs sujet sont peu nombreuses.
LES SCULPTURES
Les roches volcaniques sont relativement faciles à travailler. Les bas reliefs sont nombreux. Il existe aussi des champlevés (incrustation d’émail dans des supports) mais pas de rondes-bosses (sculptures isolées, sur socle).
L’iconographie sur linteaux (élément d’architecture au dessus des portes ou des fenêtres qui sert à soutenir les parties du mur au dessus) et tympans (espaces semi-circulaire d’un portail, entre le linteau et l’arc de voûte par exemple) ou sur portes ou portails, représente le plus souvent le Christ-Dieu, la Vierge et l’enfant,… les donateurs. Mais ce n’est pas très fréquent.
Sculptures au Monastère de Novaranq (Photos Fred Ferchaux http://fred.ferchaux.free.fr/armeny/fotarm14.htm)
Des recherches sont à faire sur certains motifs et arabesques, les stalactites et … les relations avec l’Art musulman.
LES SCULPTURES SUR LES FORMES MINEURES
Il s’agit ici principalement :
– des stèles quadrilatères, parfois avec des figures humaines. Fréquentes en Géorgie également. Une étude sur ces stèles dans les deux pays est souhaitable.
– des khatchkars à partir du IXe siècle, le plus souvent sans figuration.
Les croix sont plus des arbres de vie (avec, suivant les cas, feuilles, branches fleuries et bourgeons) que des supports de la mort du Christ.
Et ces croix sont présentes sur nombre de stèles funéraires.
L’intérêt des recherches sur ces croix est très
récent (début des années 2000) et un grand projet
a été lancé récemment.
Les peintures murales et les mosaïques ont longtemps connu l’opposition du patriarcat, surtout à partir du IXe siècle (il en existait jusqu’au VIIe siècle).
Quelques églises du début du XIIIe siècle présentent des peintures murales, notamment en Arménie du Nord et du Nord-Est, probablement sous l’influence chalcédonienne et de l’art géorgien.
Les vestiges de mosaïques (au sein du revêtement des sols) sont encore plus rares et datent de la période antique ou paléochrétienne. On en trouve à Jérusalem dans un mausolée arménien ( V-VIe siècle). Mais il ne s’agit vraiment pas d’un art traditionnel arménien.
Parmi les autres arts, mais dans une moindre mesure, sont à citer des reliquaires, des calices, des ceintures et des bijoux, du bois sculpté, des crosses épiscopales, des céramiques, des tapis (dont ceux, caractéristiques, avec aigles ou dragons et présents jusqu’à nos jours).
Beaucoup reste à étudier.
A noter enfin la question de la conjonction de la tradition et de la modernité dans cet art médiéval : voir l’église d’Oshakan par exemple, qui date du XXe siècle.
Beaucoup de parallélisme existe aussi entre l’art arménien et l’art géorgien : des recherches sur ces similitudes (et leur explication) et sur leur temporalité mériteraient d’être conduites.